Résumé:
En septembre 1919, le poète italien Gabriele d’Annunzio, à la tête d’une troupe de jeunes anciens combattants, s’empare, sur la côte adriatique, de la ville de Fiume (Rijeka) afin de la rattacher à l’Italie. Pendant plus d’un an, Fiume va devenir une petite contresociété expérimentale, exprimant sa sympathie pour la jeune révolution russe et les peuples colonisés, nouant des contacts avec les milieux anarchistes mais inaugurant, simultanément, les formes d’expression du fascisme naissant – la chemise noire, le salut romain, la liturgie de masse. L’occupation de Fiume ha attiré l’attention du Club Dada, à Berlin, qui a envoyé à d’Annunzio un télégramme de solidarité et a attiré de nombreux artistes, libertaires et futuristes qui se sont rendus avec enthousiasme dans la ville. La liberté sexuelle, l’émancipation féminine, l’homosexualité, l’usage des stupéfiants, les fêtes sont des éléments qui caractérisent cette expérience. Enfin, l’aventure de Fiume expérimente une « économie pirate », centrée sur la primauté du don comme valeur fondamentale du lien social. En fait, cet « ordre lyrique » des « artistes au pouvoir » et leur usage politique de la dérision font plus penser à Mai 1968 qu’à l’émergence des mouvements et régimes totalitaires. À travers l’expérience de plusieurs artistes et libertaires qui ont participé à cette histoire – dont le fondateur du futurisme Filippo Tommaso Marinetti, le futuriste Mario Carli, le poète Léon Kochnitzky, l’écrivain Giovanni Comisso, l’aviateur Guido Keller, Fiammetta (Margherita Keller Besozzi), qui a écrit une proclamation aux femmes, etc. – cette contribution explique ce qui fut l’un des premiers chapitres de la « culture de la révolte » qui a caractérisé le XXe siècle.