Conclusion:
L’image de l’homme-pendule mérite une place plus visible peut-être dans la galerie des images diderotiennes, elle qui subvertit dans la forme comme dans le fond les métaphores mécanistes de l’âge classique. Le rapport au temps et à l’espace que suggère cette image est tout à fait déroutant. Entre l’objectivité matérialiste et la subjectivité idéaliste, il met l’imagination au coeur de la représentation du monde et de l’éthique humaniste de Diderot. Tantôt considérée comme pathologique, tantôt médicinale, l’imagination pendulaire de l’homme transgresse les frontières que l’organisation matérielle et l’histoire assignent en apparence aux individus et aux idées. Si ce brouillage des frontières a une fonction esthétique à travers l’exagération poétique, il a aussi une fonction éthique portée par des individus hors du commun, génies, grands hommes qui arrachent leurs existences du présent et de leur petitesse individuelle pour entrer en dialogue, en vibration même pourrait-on dire en suivant une autre image physiologique diderotienne48, avec d’autres grands hommes de toutes les époques. La posture du philosophe ou de l’artiste qu’incarne l’homme pendule est certes motivée par une suspecte universalité et sacralité, mais aussi par une conception du présent ou de l’individu toujours liés à ce qui les entourent. C’est profondément une philosophie du lien, qui devient d’ailleurs une sagesse plus qu’une théorie de la vérité. L’exagération du réel doit être convoquée pour les délices de l’individu, mais aussi pour transformer le présent. La juste mesure du philosophe rate toute une partie du réel, celui qui est créé paradoxalement par l’errance de l’imagination. L’imagination peut devenir plus réelle que le réel lui-même. Elle peut le stimuler et l’informer. Alors la poésie a droit de cité au coeur même de la philosophie, selon un rapport toutefois toujours problématique, inquiet, une tension, une oscillation permanente qui permet de saisir le réel d’une manière plus entière.